Bienvenue en Uchronie

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Épisode 9 : Les premiers pas du nouvel État.

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La Louisiane n’est pas à vendre.

 

Épisode 9 : Les premiers pas du nouvel État.

 

Comme prévu, l’assemblée écouta Laussat pendant près de deux heures. Il avait effrontément menti à Boisdevant. Il n’avait, en aucune façon, réfléchi à l’avenir de la Louisiane, mais plutôt pensé à la manière de s’enrichir. Laussat commença par flatter son auditoire. Il les félicita pour leur courage et leurs convictions. Il était prêt à les aider, en toute modestie, à préserver leur art de vivre. Personne n’osa lui faire remarquer qu’il était le représentant d’un régime qui avait aboli les privilèges de la noblesse, instauré la terreur et ne cessait de propager la guerre à travers l’Europe. Il proposa de faire de l’assemblée des Cents le socle du pouvoir. Ils auraient un droit de regard sur les traités de commerce, les impôts et les institutions civiles. Il proposa que Boisdevant soit le représentant de la Louisiane libre. Il se garda bien de lui donner un titre quelconque : roi, empereur, grand-duc ou consul. Laussat se définit comme un superintendant, chargé d’organiser l’administration du nouvel État et des relations avec les puissances étrangères. Les propositions furent adoptées par des acclamations. Un gouvernement de 15 membres fut constitué. Dubernard hérita du ministère des finances, de la Moriciere des armées et de la Vigerie de la Justice.

On se sépara en célébrant la Louisiane libre, toujours au son des canons de Saint-Charles. Laussat pensait pouvoir aller prendre un repos bien mérité. Las, au bas des escaliers, il fut interpellé par un individu qui, malgré la moiteur ambiante, était vêtu d’une veste en peau de castors.

- Monsieur Laussat, je me nomme Toussaint Charbonneau, je dois vous parler de toute urgence.

Boisdevant s’interposa.

- Laissez monsieur le superintendant tranquille. S’il s’agit de griefs personnels, écrivez-lui, il vous recevra.

Charbonneau passa outre.

- Monsieur Laussat, personne ne vous a expliqué comment on s’est emparé de vos navires ?

Boisdevant tenta encore de s’interposer.

- Marquis, laissez-nous. Je veux parler à cet homme seul à seul.

Tout le monde s’écarta. Laussat et Charbonneau s’engouffrèrent dans un petit bureau.

- Je vous écoute monsieur Charbonneau.

- J’ai été sollicité par ces messieurs, il y a plus de six mois, pour nouer une alliance avec les Indiens. Ceux-ci devaient prendre vos navires et mettre vos hommes hors de combat.

- Et alors ?

- Il ne s’est pour ainsi dire rien passé. Vos marins ont pris peur dès qu’ils ont vu les Sauvages. Il faut dire qu’on leur avait envoyé du rhum et des filles.

- Donc tout s’est bien passé ? Ne maltraitez pas mes hommes.

- Oui, monsieur, tout irait bien, si les Indiens, qui ont fait leur part de travail, étaient sûrs de recevoir ce qui leur est dû. Il faut que vous teniez parole. Ils détiennent ma femme, Sacagawea, en otage.

- En quoi consiste notre parole ?

- Des armes pour défendre leur territoire de chasse, de la nourriture, de l’alcool en quantité raisonnable.

- Et avec qui les Indiens ont-ils conclu cet accord ?

- Le marquis de Boisdevant et monsieur Dubernard.

- Je suppose qu’il y a un chef de tribu.  Très bien, donnez rendez-vous à ces messieurs à midi, ici même.

Laussat n’avait osé rêver à pareille situation ! Il avait réussi à se rendre indispensable à cette assemblée de vieux aristocrates d’abord préoccupés par leur art de vivre. Cependant, il ne se laissait pas griser par ses premières victoires. Établir son autorité sur un aussi vaste territoire occupé par une population mélangée et turbulente s’annonçait une tâche immense. Mais, pour l’instant, il se réjouissait d’aller honorer Marie Anne , en espérant toujours un héritier mâle.

 

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14/05/2024
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Episode 8 : Un nouvel état vient de naitre.

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La Louisiane n’est pas à vendre

 

 Épisode 8 : Un nouvel état vient de naitre.

 

Il était deux heures du matin, les derniers retardataires se laissaient entraîner dans les ultimes valses lorsque des bruits de bottes retentirent dans l’escalier. Quatre soldats, à priori espagnols, entourant le marquis de Boisdevant firent leur entrée. Interloqués, les invités trouvèrent refuge … derrière le buffet.

Laussat, qui pensait, peut-être, tenir son heure de gloire, s’avança.

- Que se passe-t-il, marquis ? Nos amis espagnols s’agacent ? Les Yankees ont-ils franchi le Mississipi ?

- Rien de tout cela, monsieur le préfet. Je suis le représentant de la Louisiane libre et indépendante, Je vous prie de bien vouloir me suivre, nous allons vous mettre en sûreté. Dès que possible, vous reprendrez la mer pour la France et vous informerez le premier Consul que la Louisiane est libre de s’administrer comme elle l’entend. Elle ne reconnaît aucune tutelle.

- Auriez-vous abusé du cognac ou de quelque substance propre à troubler l’esprit ? Pensez-vous que le premier Consul va rester sans réagir ? Je vous rappelle que je suis arrivé avec une escorte qui contrôle les navires. Elle se tient prête à bombarder la ville.

- Les navires sont désormais sous notre contrôle. Vos hommes sont désarmés. Je vous invite à jeter un regard à la fenêtre.

Laussat n’en croyait pas ses yeux. Plus de deux cents hommes armés, Blancs et Indiens mêlés cernaient la résidence. Le préfet comprit vite qu’il serait vain de résister. Pour autant, il ne se voyait pas reprendre le bateau sous la pression d’une armée de va-nu-pieds et de sauvages. Il est des moments cruciaux pour le destin des hommes. Celui-ci en était un pour Pierre Clément Laussat. Il devait décider en quelques secondes de quel côté irait le sien.

- Marquis, faîtes sortir vos soldats et les invités. Nous devons parler seul à seul. Je vous promets de ne rien tenter, mais faites évacuer l’étage. Personne ne doit entendre nos échanges.

De Boisdevant était un peu désorienté. Il s’était attendu une résistance, au moins symbolique. Il pensait même qu’il aurait à maîtriser Laussat. La situation ne lui laissait guère de choix. D’un signe de tête, il fit sortir les invités, et dans le même mouvement, se débarrassa de son escorte. Les deux hommes s’installèrent à distance respectueuse, mais de manière à se comprendre sans élever le ton. Le marquis s’empara d’une bouteille de xérès et remplit deux verres. Laussat avala le sien d’un trait.

- Permettez-moi de vous féliciter. Votre rébellion a été admirablement préparée.

Le marquis s’inclina en guise de remerciement.

- Mais, maintenant que vous êtes libres et indépendants, qu’allez-vous faire ? Disposez- vous d’hommes capables d’écrire des lois et de les faire appliquer ? Disposez-vous d’hommes capables de négocier avec les Yankees, le souverain d’Espagne ou le premier Consul ? Savez-vous quelle forme de gouvernement vous allez adopter ?

Une sorte de vertige gagna Boisdevant. Le verre de xérès, qu’il avala aussi d’un trait, n’arrangea pas la situation.

- Nous ne manquons pas d’hommes valeureux.

- J’entends bien, marquis, et je ne doute pas du courage des vieux aristocrates français ou espagnols. Mais, il vous manque des hommes sachant gouverner.

Le marquis, encore plus dépité, hocha la tête.

- Donc, selon vous, nous aurions tout à gagner en renonçant.

- Sûrement pas !

Laussat sentit que le moment était venu de faire basculer le destin.

- Je me range à vos côtés. Je suis un homme d’expérience. J’ai amené avec moi un avocat et cinq commis de bureau qui nous seront d’un grand secours. J’ai un réseau innombrable de connaissances en France et ailleurs que je peux mettre à votre service.

- Vous trahiriez Bonaparte ?

- Depuis que je suis ici, je n’ai cessé d’ouï dire, que vous étiez méfiants. Car il avait pensé vous vendre aux Yankees. Donc, je n’ai guère confiance en cet homme.

- C’est nous qui avons fait échouer la manœuvre.

- Et vous avez bien fait. Maintenant, il faut que nous mettions en valeur cet immense pays. Une grande aventure nous attend.

- Quel rôle pensez-vous jouer ?

- Je crois que vous avez constitué une assemblée d’une centaine de personnages importants de la Nouvelle-Orleans et des alentours.

- Bon nombre d’entre-eux étaient présents à cette réception.

- Très bien, c’est devant eux que je détaillerai mon dessein pour la Louisiane. J’ai eu trois mois de voyage pour y songer.

De Boisdevant était interloqué par l’audace et l’assurance de cet homme.

- Attendez, je fais venir les hommes de notre assemblée, je ne doute pas que vous allez les convaincre.

Le soleil levant commençait à caresser les eaux paresseuses du Mississipi appelant les esclaves au travail dans les champs de coton. Nous étions le trois avril 1803 et une nouvelle Louisiane venait de naître.

 

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02/04/2024
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 Épisode 7 : Le grand soir est arrivé.

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La Louisiane n’est pas à vendre.

 

 Épisode 7 : Le grand soir est arrivé.

 

Bien avant que les Américains aient quitté le territoire de la République, deux navires avaient levé l’ancre du port de Brest. On était le 30 janvier 1803 et Pierre Clément de Laussat, préfet de Louisiane depuis six mois, était impatient de rejoindre son nouveau territoire. Il se voyait déjà régner sur une contrée qui allait des Grands Lacs au golf du Mexique, des Montagnes Rocheuses aux Appalaches. Cette immensité n’était que pauvrement peuplée de tribus indiennes, d’Acadiens chassés de la Nouvelle France, de quelques colons audacieux, de trappeurs et de coureurs des bois ainsi que d’esclaves noirs. Personne n’avait jugé utile de l’informer qu’une transaction avait été discutée avec les Yankees, pas davantage qu’elle avait été annulée. Noble défroqué, il avait rempli toutes les obligations qui lui avaient permis de devenir un citoyen irréprochable. S’il parvenait à s’entendre avec les Créoles, il pouvait mener une vie royale. Plus le navire approchait de l’Amérique et plus il se laissait envahir par les souvenirs d’enfance. Les soirées avec son grand-père qui lui racontait inlassablement l’histoire des Laussat, longue lignée de commerçants, regardant avec envie les privilèges de la noblesse. En 1766, la famille Laussat achète le château et la terre noble de Bernadets. Les Laussat complètent leur patrimoine avec l’achat de la seigneurie de Maucor et de l’abbaye laïque de Saint-Castin. Ils deviennent ainsi seigneur de Bernadets, de Maucor et abbé laïque de Saint-Castin. Le grand-père parlait avec nostalgie du temps d’avant. Pierre Clément n’avait aucune nostalgie de ce temps. La Révolution avait à peine entamé son ascension vers les plus hautes fonctions administratives. Il avait longuement intrigué pour parvenir à ses fins. Il savait d’ores et déjà qu’il occuperait le palais du Cabildo. L’éducation de ses trois filles le préoccupait un peu. Allait-il trouver en Louisiane les professeurs de lettres, de chant et de danse indispensables à en faire des jeunes filles de bonne famille. Les aristocrates ne manquaient pas en Louisiane. C’est pour cela qu’il n’était pas inquiet pour leur mariage, d’autant que les revenus de ses hautes fonctions lui permettraient de payer facilement les dots. Sa seule vraie inquiétude familiale était de ne pas avoir d’héritier mâle. Car maintenant, il pouvait penser à fonder une lignée de grands administrateurs qui règneraient sur la Louisiane, réalisant ainsi les rêves du grand-père. Pierre Clément arriva à la Nouvelle-Orleans en mars 1803. Il s’était préparé à une résistance au moins symbolique des Espagnols, voire à de légers combats qui lui auraient permis de s’orner de quelques parcelles de gloire. Mais les Espagnols n’avaient guère manifesté d’émotions. Ils s’étaient habitués à vivre avec les Français s’accommodant de lois que personne ne songeait à appliquer. Français et Espagnols priaient, commerçaient, faisaient la fête ensemble. Personne ne s’étonnait de voir construire dans le Vieux Carré français dessiné au cordeau par Adrien de Pauge en 1721, des maisons de briques à balcons de fer forgé, comme à Séville ou Grenade. Au bout de quelques semaines, Laussat comprit que ces citoyens quelles que fussent leur nationalité, leur origine, se voulaient avant tout Louisianais. Les autorités espagnoles, incarnées par un parfait hidalgo, le gouverneur Juan Manuel de Salcedo, avaient offert aux époux Laussat une grande réception. En retour, le préfet colonial, avait donné un dîner d’arrivée de quatre cent cinquante couverts. Les invités avaient vidé force bouteilles de vin de Madère, de Malaga et de Champagne. On avait porté des toasts au premier Consul, au roi d’Espagne. Les canons du fort Saint-Charles avaient tonné après chaque toast.

 

 

 


26/03/2024
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 Épisode 6 : La non-signature

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La Louisiane n’est pas à vendre.

 

 Épisode 6 : La non-signature.

 

Le 8 mai 1803, à dix heures du matin, dans les salons de l’hôtel Tubeuf, deux hommes font les cents pas. Il ne s’agit pas de modestes hommes d’affaires attendant la signature d’un fabuleux contrat. James Monroe, gouverneur de Virginie et Robert Livingstone, un des fondateurs des États-Unis, devaient ressentir, sous les plafonds lambrissés, le poids des hommes qui avaient fait l’histoire de France. Richelieu et Mazarin avaient hanté ce lieu. Aujourd’hui, ils attendaient le marquis Barbé de Marbois, ministre du trésor, pour la signature d’un traité qui devait bouleverser la face du monde. Finalement, l’affaire avait été rondement menée. L’empire espagnol, sur le déclin, avait été contraint de céder la Louisiane à l’État français par le traité de San Ildefonso (1800), mais la Louisiane ne devait pas rester longtemps française. Monroe et Livingstone avaient pour mandat de négocier l’achat de la Nouvelle-Orléans pour dix millions de dollars. Mais, à leur arrivée, ils se voient proposer un tout autre marché. Pour quatre-vingts millions, le gouvernement français leur propose d’acheter toute la Louisiane, c’est-à-dire un territoire de 2,1 millions de km2 qui doublait la superficie de la jeune nation américaine. Même si aux États-Unis, tout le monde n’était pas favorable à une aussi brutale extension, les deux hommes acceptèrent la proposition. Ce matin, ils allaient apposer leurs signatures au bas d’un document, qui non seulement garantissait l’accès au golfe du Mexique, mais étendait la souveraineté des États-Unis jusqu’au pied des Rocheuses et presque à la frontière de la Californie espagnole. Les Français se faisaient attendre, sans doute, une fin de repas qui s’éternisait un peu ; ils sont tellement frivoles. Ils étaient là depuis un peu plus d’une heure, lorsqu’un majordome leur proposa de prendre un en-cas. Ils ne se firent pas prier, connaissant la qualité des mets servis par les Français. La table, autour de laquelle on les invita à s’asseoir, les rendit un peu songeurs. Pas de fine terrine dont la saveur délicate envahissait le palais, pas de succulente petite volaille rôtie à point. Le buffet se composait d’un poulet rôti découpé à la va-vite, de quelques tranches de jambon gras et un pain grossier. Inutile de chercher la carafe de cristal dans laquelle décantait un vieux vin de Bordeaux, un pichet de terre cuite posé entre deux gobelets en étain en tenait lieu. Un peu surpris, les Américains tentèrent de faire honneur au repas pour ne pas indisposer leur hôte. Le majordome vint les informer que le marquis était retenu chez le premier consul et serait là dans une heure. En attendant, il leur proposa du café et des liqueurs. Les deux hommes ne refusèrent pas, mais commençaient à trouver la situation quelque peu grotesque. Enfin, ils n’hésitèrent pas à se servir largement en vieux cognac, le seul produit convenable présent sur la table. Une heure passa, puis une deuxième, les deux Américains continuaient de malmener la bouteille de cognac, tenant des propos peu amènes sur la conduite des Français. Mais, comme ils savaient que ce jour était un tournant dans l’histoire de leur pays, ils prenaient patience. Soudain, on entendit claquer des sabots sur les pavés luisants de la cour, puis le bruit caractéristique du pas d’un homme s’appuyant sur une canne. Les deux se regardèrent interloqués. S’agirait-il du diable boiteux en personne ? En effet, c’était bien l’homme que toutes les chancelleries du monde redoutaient. Il entre en se contentant de saluer les Américains d’un signe de tête.

- Messieurs, j’espère que vous ne prendrez pas ombrage de mes propos. Le premier Consul m’a demandé de vous faire part de sa décision concernant la Louisiane.

- Mais, elle est acquise.

- Nous n'avons rien paraphé, messieurs. La Louisiane ainsi que toutes les contrées qui en dépendent restent françaises.

- Pouvons-nous connaître les raisons de ce retournement ?

- Enfin, messieurs, vous savez bien que c’est impossible ! La diplomatie a besoin de mystère. Sinon, à quoi serviraient les espions ?

Les Américains n’apprécièrent guère ce dernier trait d’humour.

- Alors nous n’avons plus qu'à quitter la France.

- Vous êtes nos invités tant qu’il vous plaira. Vous pouvez, à votre aise, profiter des douceurs que la France vous offre. Je dois vous préciser qu’un courrier est déjà parti pour informer votre président. Talleyrand s’en retourna. Les deux Américains le suivirent de près, que pouvaient-ils faire d’autre.

 


19/03/2024
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Épisode 5 : La rencontre décisive

 

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La Louisiane n’est pas à vendre :

 

Épisode 5 : La rencontre décisive

 

Charbonneau et Cabrera s’entendaient à merveille. Le coureur des bois n’hésita pas à entreprendre les menus travaux que Cabrera négligeait. Cela permettait à Toussaint de réduire son dû. Un soir, alors qu’ils finissaient leur verre de gnôle, Dubernard poussa la porte de la gargote. C’était la première fois qu’un personnage de cette importance en franchissait le seuil.

- Merci de vous être déplacé, monsieur Dubernard.

- Quand il s’agit d’une affaire d’importance, je ne m’interdis rien.

Charbonneau se gratta la chevelure et la barbe, il ne voyait pas en quoi l’ouverture d’une modeste boutique était une affaire d’importance.

- Vous êtes Toussaint Charbonneau ?

- Oui, c’est moi qui veut ouvrir une boutique.

- Bonne initiative, on manque d’hommes entreprenants ici. Mais, je ne suis pas venu vous voir pour ça.

Dubernard jeta quelques pièces sur le comptoir en guise de dédommagement.

- Suivez-moi, Toussaint, ce que j’ai à vous dire doit rester entre nous.

Les deux hommes sortirent et s’éloignèrent de quelques mètres. Dubernard ne cessait de jeter des regards inquiets aux alentours. Finalement, ils s’installèrent à même le sol, à l’abri d’un vieux chêne recouvert de mousse espagnole[1].

- Pourquoi tant de mystère, monsieur Dubernard ?

- J’ai une mission à vous confier.

- Mais, je ne suis qu’un pauvre trappeur.

- Ne vous mésestimez pas mon ami. On murmure que vous êtes un de ceux qui connaît le mieux les mœurs des Peaux Rouges.

- J’en ai même épousé une. Elle parle plusieurs de leurs langues.

- Vous aimez les Yankees ?

Toussaint faillit répondre que tant qu’on le laissait commercer à sa guise, il ne détestait personne.

Cependant, au vu de l’importance qu’il accordait au personnage, il prit le temps de la réflexion.

- J’ ai pas de haine envers eux, mais j’oublie comment ils traitent ceux qu’ils nomment les Sauvages.

- Vous n’avez donc pas envie de vivre sous leur férule.

- Non.

- Je suppose que vous savez que le territoire sur lequel vous vivez appartient au roi d’Espagne.

- Oui, bien sûr.

Dubernard expliqua en quelques mots la situation dans laquelle allait se trouver la Louisiane et les projets de ses amis. Toussaint répondit en quelques mots.

- Bref, vous voulez que je ramène une armée d’Indiens pour prendre d’assaut les navires et tenir en respect les Espagnols s’ils venaient à se mêler de ce qui ne les regarde pas.

- Vous avez bien résumé Toussaint.

- Vous êtes remonté jusqu’où, en suivant le Mississipi, monsieur Dubernard ?

- Natchez, mes affaires ne m’appelaient au-delà.

- La tribu d’où on vient est installée à plusieurs centaines de kilomètres en amont. De plus, les Gros Ventres sont plutôt pacifiques et de piètres guerriers. Les Shoshones seraient de meilleures recrues, mais ils sont aussi loin.

- Vous ne connaissez pas de tribus plus près de nous ?

- Moi, je suis du pays de l’Illinois. Avant de m’embarquer pour la Nouvelle-Orleans, le point le plus au sud que j’avais atteint était guère loin de Saint-Louis. Cependant, je pense pouvoir vous aider. Ma femme est pas une pure Shoshone. Sa mère était une Quawpe, capturée par les Kaws et vendue aux Shoshone. Elle parle le Quawpe.

- Vous pensez pouvoir réunir combien d’hommes ?

- Pas loin d’une centaine. Qu’est-ce ce que je gagne en échange ?

- Nous pouvons vous concéder le monopole du commerce de peaux sur une partie du territoire, de bonnes portions de terres à cultiver.

- Pour l’instant, vous me payez avec du vent. Vous n’avez rien de tout ça.

- Que voulez-vous ? Une somme d’argent en gage de bonne foi ?

- Peut-être, mais je veux surtout d’autres garanties.

- Je vous écoute.

- Tout ce qu’on dira sera mis par écrit chez un notaire. Nous serons obligés d’emmener Sacagawea. S’il devait nous arriver malheur, je veux pas que mes garçons manquent de quelque chose. Aussi, je veux que vous vous engagiez à leur verser une rente convenable pour les quinze ans qui viennent. Enfin, quelle que soit la situation, je veux que Teddy et Freddy soient instruits comme des hommes de biens, notaires ou avocats. C’est pour ça que je suis venu ici. Je voulais pas qu’ils vivent comme moi. Je veux par-dessus tout qu’on arrête de les regarder comme des petits sauvages.

- Je ne vois là rien d’impossible. Cependant, il faut que j’en réfère au marquis de Boisdevant.

- Je partirai pas sans l’avoir rencontré. Il faudra mettre au point le traité avec les Indiens et surtout le respecter. A leurs yeux, ce sera Sacagawea et moi les garants de l’accord. Il est possible qu’ils nous gardent en otages jusqu’à ce que l’affaire soit close.

- Très bien, je vous ferai prévenir du jour et de l’heure du rendez-vous avec le marquis. D’ici là, pas un mot à quiconque, sauf à votre épouse, si elle doit être du voyage.

 

[1] La mousse espagnole, également connue sous le nom de Tillandsia Usneoides, est une plante étonnante qui ressemble à des fils verts filandreux qui pendent des arbres. Bien qu'elle ressemble à de la mousse, elle appartient en fait à la famille des Tillandsia et n'est pas une mousse.

 

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12/03/2024
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